Orthographe : Les nouvelles voies de communication

L’orthographe rectifiée fera enfin sa rentrée en septembre prochain, vingt-six ans après sa validation par l’Académie française ! Les livres d’orthographe et de grammaire porteront alors un macaron avec la mention «Nouvelle orthographe». De façon succincte, en voici les grandes lignes : disparition partielle de l’accent circonflexe sur le «i» et le «u», simplification de la graphie de quelque 2 400 mots.

Pour évoquer cette évolution, Dijon l’Hebdo a rencontré Michel Gey, proviseur du Lycée Carnot, linguiste et grammairien émérite, auteur de nombreux ouvrages scolaires. En 1990, il avait fait partie de l’équipe de chercheurs et d’experts de l’AIROE (Association d’information et de Recherche sur l’Orthographe et les Ecritures), qui, à la demande de Michel Rocard, Premier ministre, avait établi un rapport, proposant une nouvelle orthographe pour certains mots du français. La finalité ? Simplifier et faciliter l’apprentissage de notre langue.

DIJON l’Hebdo : on imagine votre satisfaction, puisque la réforme actuelle reprend les analyses et les conclusions élaborées par l’AIROE. On imagine aussi votre agacement de constater que les arguties avancées au nom de l’authenticité de la langue française par les opposants d’aujourd’hui n’ont pas évolué d’un pouce depuis 1990 !

Michel Gey : Avant d’entrer dans le vif du sujet, et c’est la trame éthique des manuels scolaires que j’ai écrits, je préconise de parler non de « faute d’orthographe », mais « d’erreur ». On n’est ni dans le domaine de la religion, ni celui de la pénitence … L’orthographe est faite pour communiquer, et non pour évaluer et discriminer les élèves. Quant à Bernard Pivot qui se fait l’apôtre de l’Orthographe en majesté, considérons que ses dictées sont tout juste des mélis- mélos, des patchworks de mots pour épater la galerie! Aux XVIIème et XVIIIème siècles, l’orthographe était libre : il suffit de relire les écrits du grand Corneille ou de Racine pour s’en convaincre…

Les médias et les adversaires de la réforme portent un regard réducteur sur l’analyse scientifique qui a présidé à la réforme de l’orthographe, ne retenant que de deux-trois éléments : « ognon » proposé pour oignon, « nénufar » pour nénuphar. Ou encore la suppression partielle l’accent circonflexe. Bien évidemment rien d’anodin, dans cette présentation caricaturale … Ca dénote tout simplement le climat d’intolérance qui monte en puissance dans notre société, ainsi que le refus de faire bouger les lignes. La langue est l’outil premier de la communication entre les hommes. Que les pourfendeurs de sa simplification s’interrogent sur un point essentiel : pourquoi l’usage de l’anglais s’est-il répandu dans le monde entier ? Pourquoi le français est-il en perte de vitesse ? Chez nous, les beaux esprits considèrent notre langue, notre orthographe comme des marqueurs sociaux qui les confortent dans l’acceptation d’une société de castes, ainsi que dans la certitude d’appartenir à l’élite ! Une langue est un organisme vivant qui change, qui évolue en fonction des apports technologiques ou scientifiques de chaque siècle. Qui remettrait aujourd’hui en question des vocables, tels que « portable », « mobile » ou « ordinateur » ?

Coquetteries de langage nées à la Renaissance

D’ailleurs, les rectifications proposées ne concernent pas du tout la grammaire, ni la phonologie ; elles visent à simplifier les graphies résultant d’une évolution étymologique ou phonétique illogiques, souvent aberrantes, et perçues comme autant d’obstacles à une communication aisée entre les personnes, les générations. Elles ont pour finalité de mettre un terme aux anomalies, à un usage des mots, qui dérive d’une incohérence, de coquetteries de langage nées à la Renaissance, ou bien d’anciennes techniques d’impression : les caractères mobiles en plomb et en bois utilisés avant l’invention de l’offset s’usaient, se déformaient, engendraient des graphies plus ou moins fantaisistes. Graphies qui ont été entérinées ensuite par l’usage, et ce, en dépit de toute logique grammaticale ! La réforme actuelle devrait aboutir à l’application sans exceptions inutiles d’une règle simple, souligner une tendance phonétique ou graphique constatée dans l’usage, ou encore faciliter la création de mots nouveaux – notamment dans les domaines scientifique et technique. Il est urgent de rendre plus aisés l’apprentissage de l’orthographe et sa maîtrise pour une majorité d’élèves. Comme, d’ailleurs, pour toutes les personnes d’origine étrangère susceptibles de pratiquer le français parlé, comme le français écrit.

Certes, la situation actuelle ne saurait être modifiée par décret. Il faut impulser une volonté politique, une éthique, une absence d’a priori, afin d’améliorer l’efficacité de l’enseignement du français. Afin également d’aider les personnes d’origine étrangère susceptibles de pratiquer notre langue à l’écrit.

En conclusion, cette réforme de l’orthographe doit procéder d’une véritable démarche démocratique, au sens le plus élevé du terme !

Propos recueillis par Marie-France POIRIER

 

NDRL : Tous les ouvrages scolaires de Michel Gey ont été publiés chez Nathan. Ils ont rencontré un tel succès, que tous sont épuisés.