« La laïcité est l’ADN de la République ! »

Lors d’une conférence salle de Flore à l’hôtel de ville de Dijon réunissant plus de 250 personnes, Daniel Keller, Grand Maître du Grand Orient de France, a défendu la laïcité comme pilier de la République. L’occasion d’une interview…

Pourquoi la laïcité est-elle réellement en danger ?
Daniel Keller : « Avec les terribles événements de janvier et de novembre derniers, les Français ont pris conscience que la République représente un bien précieux et qu’elle est en danger. Certes, pas comme en 1792 ou en 1940, encore que, mais une inquiétude partagée est née et a remis au cœur du débat la laïcité parce qu’elle est l’un des piliers de la République. Seulement des transformations visibles et souterraines sont apparues dans notre société qui l’ont fragilisée. La société est en effet devenue multiculturelle tout en connaissant des difficultés avec le travail d’intégration ; nous sommes dans le même temps passés d’une démocratie des individus à une démocratie des communautés ; j’ajoute aussi que nous sommes victimes d’une crise de la spiritualité. Nous assistons à une résurgence des religions qui s’accompagne du retour d’une certaine forme de dogmatismes. Rappelez-vous les violences qui ont accompagné la loi sur le mariage pour tous ! Sans omettre une instrumentalisation idéologique de l’Islam… Ces multiples facteurs fragilisent la laïcité ».

Différentes visions s’affrontent aujourd’hui sur la laïcité et cela tend aussi à l’affaiblir…
D. K. : « Pour nous, Français, la laïcité prend une dimension particulière parce qu’elle est l’ADN de notre République. C’est le produit d’une longue histoire dont l’acte de naissance remonte à la Révolution française et au siècle des Lumières. Et le concept très critiquable qui se résumerait à un simple œcuménisme interreligieux, autrement dit qu’elle garantirait la bonne coexistence des religions entre elles, nous éloigne de la laïcité telle qu’elle a été pensée par ses fondateurs. Aujourd’hui rien n’est fait pour que la religion reste dans la sphère privée. C’est l’ère du grand mélange et l’on est en train de vider de son contenu l’espace laïc. La laïcité est une question de principe d’organisation de la République fondée sur la séparation des églises et de l’Etat. Elle est présentée par certains comme liberticide alors que c’est tout le contraire : la volonté des fondateurs était de créer une société démocratique et républicaine, permettant d’émanciper et de libérer les individus de toutes les tutelles, de tous les dogmes, à l’opposé de la société théocratique ».

La Ville de Dijon a créé une place de la Laïcité. Un symbole qui doit vous plaire…
D. K. : « Sans symboles, l’on fabrique des individus intellectuellement déstructurés. Les symboles structurent les consciences. Aussi je me félicite en effet qu’à Dijon il y ait une place de la Laïcité. La République repose sur des symboles et l’on ne doit pas transiger avec eux. C’est comme pour la crèche de Noël installée dans un conseil départemental. Il y a des lieux citoyens et ils doivent le rester. Les cantines scolaires n’ont pas non plus vocation à proposer des menus casher ou halal mais je ne suis pas choqué que les enfants puissent manger dans un self autre chose que du porc s’ils le souhaitent. La laïcité, c’est aussi la culture de la règle qui est quelque chose d’émancipateur. En Franc-Maçonnerie, la règle est essentielle ! »
Concrètement, eu égard aux évolutions de notre société et aux enjeux multiples qui font plus que se dessiner aujourd’hui, que préconisez-vous pour défendre la laïcité ?
D. K. : « Il faudra prendre des décisions afin d’anticiper notre société dans 10 ou 20 ans. Une pédagogie sera essentielle. Il ne faut ainsi pas exclure les personnes de confession musulmane mais au contraire les inclure. Cependant il faudra rappeler certaines règles. Cela passera aussi par le progrès social et économique comme le disait déjà Jaurès il y a un siècle. Enfin évitons les querelles actuelles et défendons la République qui est un combat permanent ! »
Propos recueillis par Xavier GRIZOT

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« Des lignes jaunes à ne pas franchir ! »
Lors des élections régionales, pourquoi être intervenu sur le terrain politique afin de lutter contre la montée du Front national ?
Daniel Keller : « Il y a des lignes jaunes à ne pas franchir dans notre République et c’est le rôle du Grand Orient de France de le rappeler. J’ai été sollicité par de très nombreux frères, notamment de l’Est de la France, particulièrement concernés par les scores du Front national. J’avais le choix de ne rien dire ou de prendre position. C’est ce que j’ai fait et je le referai si besoin car mon silence aurait été coupable. Le malheur n’explique pas l’infamie et il y avait une course à l’abîme face à laquelle un sursaut collectif était nécessaire. C’est pourquoi j’ai appelé au Front républicain contre le Front national ! »

« Personnellement contre la déchéance de nationalité »
Vous ne vous êtes pas encore prononcé sur la déchéance de nationalité pour les binationaux qui divise particulièrement la sphère politique. Quel est votre point de vue ?
Daniel Keller : « En tant que Grand Maître du Grand Orient de France, je suis incapable de vous dire quel est le sentiment dominant chez nos frères sur cette question. Nous organisons le 28 janvier une grande réunion avec le président de la Commission des Lois à l’Assemblée nationale, Jean-Jacques Urvoas, sur ce sujet. Les actes seront publiés et transmis à toutes les loges du Grand Orient pour qu’ils en prennent connaissance. Mais, pour ma part, à titre personnel, je suis contre ! »