Vous prendrez bien un dernier ver ?…

Mais quelle idée ! Ou… quelle grande idée ? Et si les insectes faisaient allègrement partie de vos menus de demain et pourquoi ? Et si de surcroît, c’était bon ! La réponse avec une bande de Dijonnais qui a eu le courage de tenter cette expérience étonnante pour nos cultures occidentales et pourtant si commune pour quelque 2,5 milliards de personnes sur la planète.

C’est par le biais du Web que Julien est tombé par hasard sur une vidéo évoquant des préparations d’insectes pour l’apéritif : les molitors (des vers de farine) et criquets d’une toute jeune entreprise parisienne, Jimini’s, qui dispose d’une boutique sur Internet. « Je suis très curieux de nature, raconte ce jeune Dijonnais, et j’ai décidé d’organiser une dégustation avec des amis. » Et c’est là que tout se complique. Entre incompréhension de la démarche et dégoût, les volontaires se font rares. « Personnellement, je n’ai aucun a priori culinaire, je goûte quel que soit l’aspect, je refuse de me limiter au formatage de notre culture. Et dans beaucoup de pays, manger des insectes est normal. D’ailleurs, nous mangeons bien des escargots ici ! » ajoute-t-il. Les insectes préparés par Jimini’s sont issus d’élevages européens. Déshydratés, ils sont parfumés à l’aide de différents aromates afin d’être mis en boîte et distribués aux consommateurs. Des apéritifs géants sont même organisés par l’entreprise à Paris. Jimini’s envisage de se développer à termes dans les grandes villes de France.

Parmi les volontaires, Emilie trouve aussitôt l’idée « originale, sympa, un peu délirante ». Cédric reste « sceptique mais curieux ». Mickaël se fait violence face à ses « appréhensions ». Orlane le prend comme « un défi ». Jérôme n’hésite pas un seul instant face à l’invitation : « OK, je viens pour découvrir quelque chose de nouveau ». Isabelle ose « pour ne pas mourir bête » et Mickaël, dit Mika, se dit « prêt à manger de tout pourvu que ce soit bon ».

Les jolies petites boîtes sont là au milieu de la table. On peut y lire un slogan plutôt bien trouvé : « réinventons l’apéritif ! ». Instant découverte, moment de vérité… les boîtes sont ouvertes provoquant des réactions confuses chez les invités. Emilie se dit « impressionnée par la taille des criquets, la tête, les yeux ». Concernant les molitors, elle se rassure à sa façon : « heureusement, ils ne sont pas vivants, sinon ça grouillerait ! ». Jérôme se lance le premier. Tout le monde le regarde. Il semble apprécier. L’effet de groupe fait le reste.

Côté papilles, passée l’appréhension de la première mise en bouche, c’est presque l’enchantement, la surprise. « La sensation est très différente de ce que j’imaginais. Ce n’est pas du tout gluant. Ça croustille comme un biscuit apéritif, c’est bon ! » déclare Cédric. « Le molitor n’est pas très consistant, je préfère le criquet » ajoute Orlane. Les convives s’équipent finalement de petites cuillères pour déguster les vers de farine. Belle initiative qui permet de déceler un « sympathique arrière-goût de noisette » dans ce mets. La seule doléance émane de Mika : « Dommage que ce soit aussi sec et épicé. Je voudrais bien les goûter dans d’autres préparations ». « Et moi vivants et natures pour savoir quel goût ils ont vraiment ! » suggère Jérôme. Les stocks sont décimés en moins de dix minutes…

Vient ensuite le temps de débats. Tout le monde s’est a priori bien documenté sur le sujet. « Je fais beaucoup de sport et il paraît que bientôt, on trouvera de la protéine d’insectes en poudre. A poids équivalent, les insectes sont trois fois plus riches en protéines que la viande rouge » explique Cédric. Et Mickaël de répliquer : « D’ailleurs, ce qui est fou, c’est qu’on créé des restaurants de luxe qui cuisinent des insectes mais que l’aide humanitaire se refuse d’en proposer parce que c’est réducteur pour l’être humain ! ». Il évoque encore un film de science-fiction, Le transperceneige sorti en 2013 et tiré d’une BD française des années 80, dans lequel les plus pauvres survivent grâce à des barres protéinées à base d’insectes. Julien, notre hôte du jour, argumente alors la nécessité de consommer des insectes : « D’ici quelques décennies, nous serons neuf milliards sur Terre. On ne pourra plus élever suffisamment de bétails pour nourrir les gens qui sont nombreux aujourd’hui à manger de la viande ou du poisson midi et soir tous les jours. C’est polluant et les animaux sont bourrés d’antibiotiques. Après on s’étonne de la recrudescence des cancers. L’insecte, c’est un apport en protéines non négligeables avec de vraies facilités d’élevage et une croissance rapide. Il suffit de les proposer broyés dans des préparations pour ne pas écœurer les gens ».

Il faut savoir que ce sont principalement les protéines qui nous procurent la sensation de satiété. D’autre part, autre élément à garder en tête, nous consommons déjà des insectes au quotidien sans le savoir dans la plupart des produits industriels : jus de fruits, chocolat, colorants E120 rouge présent dans les bonbons, la charcuterie, les yaourts, les chips, la croûte de fromage… En sus des protéines, ces bestioles contiennent vitamines, sels minéraux, omega 3 et 6, et sont pauvres en lipides. Ils ne sont contrindiqués qu’aux personnes allergiques aux crustacés. Pour tenter l’expérience, rendez-vous sur jiminis.com.

Cette entreprise basée à Paris distribue pour l’instant ses produits sur Internet et travaille actuellement au développement de son réseau de distribution en épiceries fines, notamment. « Nous espérons développer nos points de vente à Dijon d’ici à l’été 2014 » explique Clément Scellier, l’un de ses créateurs. Chaque mois, à la capitale, ces jeunes dirigeants organisent des apéritifs géants en des endroits insolites sélectionnés avec soin, qui rassemblent « des curieux, généralement âgés de 18 à 45 ans, issus de tous les milieux, de l’aventurier au branché ». Ce qui est certain c’est que l’idée plaît. Avis donc aux éventuels distributeurs dijonnais qui seraient intéressés par la vente de produits Jimini’s.

Le saviez-vous ?

  • Il faut 10 kg de nourriture pour produire 9 kg d’insectes ou 1 kg de bœuf

  • Les fermes d’insectes émettent 99% de moins de gaz à effet de serre que le bétail

  • Les insectes arrivent naturellement à maturité en quelques semaines ou mois. Il faut une à plusieurs années pour le bétail

  • Minuscules, ils peuvent être élevés sur plusieurs étages

  •  1 900 espèces sont parfaitement comestibles et nourrissantes

  • Les plus consommées dans le monde : criquets, sauterelles, larves, fourmis…

L’avis de deux grands chefs étoilés dijonnais :

Stéphane Derbord, restaurant Stéphane Derbord (10, place Wilson)

« On parle beaucoup des insectes actuellement. Je pense qu’il s’agit surtout d’un phénomène de curiosité, de nouveauté, alors de là à en mettre à la carte de mon restaurant, non. Même si je reconnais qu’il ne faut pas être obtus, qu’il faut savoir évoluer. J’ai moi-même reçu des criquets en échantillon. Ce n’est pas mauvais. Toutefois, je reste attaché à la culture gastronomique française. Nous mangeons, certes, des escargots et c’est finalement un peu équivalent, mais je n’envisage pas d’inclure un jour les insectes dans ma cuisine. Nous disposons déjà de suffisamment de bons produits pour innover et se faire plaisir. D’ailleurs, dans les années 70-80, l’avenir c’était, disait-on, la nourriture en tube pour pouvoir subvenir à nos besoins. Finalement, on n’en est pas là et fort heureusement. »

Jean-Pierre Billoux, le Pré aux clercs (13, place de la Libération)

« J’ai déjà goûté des sauterelles grillées. Je n’ai pas vraiment été repoussé par l’aspect de l’insecte qui est plutôt croustillant. Je ne pense pourtant pas qu’à l’heure actuelle, nous puissions vraiment les intégrer dans notre cuisine. Cela reste l’affaire d’une minorité qui souhaite surfer sur la vague des tendances. Il y aura toujours des curieux mais les insectes ne remplaceront pas notre gougère ! Si je devais les marier avec notre gastronomie, j’imagine que ce serait grillés et moulus pour donner un peu de goût à un poisson par exemple, voire même en farine. Pour moi, c’est quand même trop exotique, trop loin de notre culture. C’est riche en protéines mais même si cela devait devenir une alternative à la viande, je ne crois pas que ce soit pour demain chez nous en France. »