Noblesse oblige…

Déjà, le lieu… Dans le quartier des antiquaires, un immeuble classe et classé du XVIIe siècle, dit « maison Pouffier », toute en hauteur et en volumes, dont les cariatides et les atlantes (statues de femmes habillées en tunique et remplaçant des colonnes et leurs homologues masculins) ont fait la joie de générations de touristes férus d’histoire. Légende : est-il vrai que l’illustre famille se représenta, sur le visage de ces statues ? A tout prendre, c’est mieux qu’un statut Facebook, mais on peut moins souvent changer la photo !
Bien préservée par les siècles, la maison a retrouvé une splendeur assumée, notamment par l’immense vitrine offrant le spectacle de la salle et des cuisines, en perspective. La salle, et sa magnifique poutraison, sa déco sobre et chic, tout en boiseries épaisses et naturelles, ses fauteuils confort et design, sa lumière tamisée, propices aux dégustations et aux confessions. L’esprit des lieux fera fuir les groupes bruyants, les attitudes ostentatoires, les éclats de voix, et c’est tant mieux.
On entre là comme au théâtre, entre la salle et ses figurants discrets et distingués, et la cuisine ouverte, où officie tout de blanc vêtus, concentrés et affairés, la petite brigade qui constitue la vraie équipe d’acteurs qui ceints de blanc, animent ce théâtre des sens.
Et avant le festival des saveurs, le plaisir des yeux, donc en salle mezzo voce et en cuisine pianissimo. La carte, enfin, car même si le style, la déco, l’ambiance d’un établissement jouent toujours un rôle, le juge de paix, c’est l’assiette. Elle est le trébuchet auquel se pèsent les réputations. La Maison des Cariatides a opté pour une carte restreinte, avec peu de choix, et même un « menu dégustation » unique le soir, à un peu plus de 50 euros.
Ici, le choix d’une carte resserrée est fondé sur une philosophie, mettant l’excellence, la saisonnalité des produits et leur alliage au cœur de la réflexion. Tous les produits, tous les ingrédients proviennent d’établissements réputés, souvent de la région et bio dès que possible. L’amour du produit, le goût du terroir, la passion de l’authentique, une fois dépassés les discours de principe, c’est un peu ça, dans les faits.
Dans le menu du midi (19 euros pour 2 plats, 25 pour 3), on a le choix entre velouté d’asperges, œuf mollet, gambas et chorizo « Joselito », salade César bio, suprême de poulet fermier au citron, parmesan, croûton à l’huile d’olive et sauce césar. Suivent, possiblement, un lapin fermier de Bourgogne avec sa marmite de légumes au serpolet, ou un cabillaud demi sel, jus de marinière parfumé à l’ail des ours, ragoût de blette. Enfin, en dessert un sablé Breton aux fraises et à la crème à l’amande douce et sorbet fraise ou une faisselle de chèvre de la fromagerie de Saunière et miel du Morvan. Mais la carte change régulièrement, vous pourrez aussi déguster de l’agneau fermier ou autre poisson poché à cœur.
Le soir, on monte en gamme, avec une succession de plats choisis et choyés, et surtout, une carte avec plus de « et » que de « ou ». Ainsi, blanc de seiche, langoustine d’Écosse, consommé de crevette, huile de combawa, et asperge verte, agrumes, chorizo et jus de crustacé, puis cabillaud demi sel, fine, ail des ours, épinard du « pré velot ». Ensuite, pigeonneau royal curry de petits pois et pleurotes, assortiment de fromages, et encore ciflorette et hibiscus, mousse de lait glacé à la reine des pré, et en bonus, ou en bonheur, ananas victoria poché au gingembre et citron vert, sorbet fruits exotiques, baba au vieux rhum.
Mais au fil des saisons, on a pu tester le maquereau au raifort ou la langoustine à cru au gingembre et jaune d’œuf infusé au sésame, un ravioli truffe bouillon de bœuf, le turbot et bonite séchée en condiment ou la côte de cochon, la basse-côte « Black Angus » (les amateurs apprécieront) oignon doux confit au poivre de sarawak, consommé de mousseron. La carte garde en constance et qualité. Et Dieu que la constance est difficile à atteindre et à maintenir, quand on boxe en catégorie « gastronomie ».
Le service est discrètement connivent. Les vins, au verre ou en bouteille, sur une base bourgogne (et même « grands bourgognes »), est large, et dans les gammes de qualité et de prix du reste. L’accent est bien sûr mis sur l’accord « met et vin ». Pichet de rosé, passe ton chemin !
Bien sûr, cette chronique, plus velours que vitriol, est souvent indulgente pas par calcul mais par choix, donnant « sa chance aux produits », pariant sur les hommes qui font ce métier de bouche et de cœur et la foi qu’ils y mettent, c’est un parti-pris, le « pari de Pascal », en quelque sorte. Mais là, je ne peux au final que recommander cette table, qui rehausse une capitale des Ducs pourtant richement dotée, côté bonnes et grandes tables. Ce nouveau joyau à sa couronne gastronomique est une perle dont Dijon ne peut que s’enorgueillir, car le niveau de jeu est élevé. Les Cariatides de Thomas Colomb, c’est pas l’Amérique : c’est beaucoup mieux…

La Maison des Cariatides, 28 rue Chaudronnerie