Frédéric Martin, dernier grand spécialiste de la tripe en Côte-d’Or installé au marché des Halles de Dijon, arrêtera bientôt de faire l’andouille, tout du moins jusqu’à l’hiver prochain. En effet, la grande cousine de l’andouillette reste un produit de saison froide du fait de son temps de cuisson très long (3 heures à petit feu). Toutefois, le métier de tripier ne se limite évidemment pas à l’andouille. Rencontre avec un passionné talentueux.
Voilà maintenant cinq ans que ce boucher spécialisé dans la tripe a élu domicile au marché des Halles. « J’ai fait mon apprentissage dans la Marne puis j’ai repris l’entreprise de mon patron pendant 15 ans avant de chercher une autre boutique. J’ai tout de suite été séduit par le cadre du marché de Dijon, sa clientèle d’habitués ou de passage, ses touristes ainsi que les collègues autour de moi. » Le travail de la tripe, il l’a appris sur le tas parce que c’est avant tout la préparation des viandes qu’on enseigne aux futurs bouchers. Il n’existe aucune formation spécifique pour les abats, nom qui désigne tout simplement les pièces non rattachées à la carcasse.
Son grand-père était boucher, son père également et c’est ce dernier qui, un beau jour l’a conduit chez son futur patron. « Il m’a dit : voilà gamin, tu commences ici demain ! ». Incapable de tuer un animal, adorant la pêche à condition de relâcher tous les poissons, rempli de culpabilité lorsqu’il choisit les meilleures bêtes sur pied pour son activité ou ses concours, il s’est tout de même passionné pour son métier. « Je travaille mes produits sans penser à l’animal dont ils sont issus. Et les tripes, on en voit de moins en moins, c’est justement cela qui m’a poussé à y revenir. Car attention, abats ne veut pas dire bas morceaux ! D’ailleurs, les ris et le foie de veau sont des produits de luxe. » Sa clientèle : de nombreux séniors qui en consomment depuis toujours et connaissent la Triperie dijonnaise depuis des décennies, ainsi que des ménagères qui viennent pour retrouver certains produits qu’elles ont mangé étant enfants, et de plus en plus de jeunes curieux qui ont envie de goûter.
Sa recette très spécifique de l’andouille, Frédéric Martin la tient de son grand-père. « Aujourd’hui, quasiment plus personne ne fabrique d’andouilles parce que sa préparation est longue et fastidieuse. Il s’agit d’un mélange de boyaux qu’il faut nettoyer, gratter et laver à plusieurs reprises. » Une fois ce véritable décapage réalisé, le tripier y ajoute moutarde de Dijon, oignons, muscade, sel et poivre avant de laisser mariner le tout dans le vin blanc et le laurier. Puis, pour lui donner sa forme et sa texture très particulière, il révèle son secret de famille : « Les tripes sont disposées en longueur avec une tranche de lard au milieu avant d’être roulées puis tirées à la ficelle pour entrer dans la robe. C’est cette tranche de lard qui donne à l’andouille le fondant et la tenue que tout le monde apprécie. »
La triperie propose également des produits bouchers et charcutiers, du fait maison de A à Z dans son laboratoire longvicien. Il se fournit aux abattoirs de Beaune et Venarey les Laumes et explique l’évolution du prix des tripes. « Certains abats ont augmenté de 40% ces deux dernières années à cause de l’exportation, car si les Allemands et Américains fuient à la vue d’un pied ou d’une tête de veau, en revanche, les Russes, notamment, sont devenus de grands amateurs de tripes. Malgré cela, les tarifs de nos produits restent bien plus compétitifs que ceux de la viande. » Le foie de veau ou de génisse, et les rognons ont toujours autant de succès. Sans parler de la tétine (mamelle de vache) qu’il est obligé de commander en continu pour faire face à la demande. « Chez nous, elle n’est pas reconstituée comme en supermarché mais entière et dégraissée. Il suffit de la faire dorer puis d’y ajouter un peu de beurre d’escargot. C’est délicieux ! »
Pour les plus réticents, Frédéric Martin conseille de manger de l’onglet, de la hampe ou encore du cœur de génisse ou de bœuf, des abats dont la texture et le goût se rapprochent fortement d’un steak. La joue et la langue de bœuf sont également très bonnes. Et pourquoi pas ensuite un peu de museau en salade, voire de cervelle bouillie puis poêlée… Quoi qu’il en soit, à chaque vente, ce professionnel hors-normes y va de son bon conseil, un accueil chaleureux que les clients affectionnent tout autant que la qualité de sa production qui lui vaut d’ailleurs chaque année quelques prix, gages d’excellence alignés sur le devant de sa boutique du marché. La Triperie dijonnaise est ouverte le mardi, jeudi, vendredi et samedi de 5 heures du matin à 13 heures.
Florence CAROLE