Les anarchistes clament volontiers : « Police partout, justice nulle part ! ». Ce à quoi les Dijonnais pourraient répondre « Ecrans partout, silence nulle part », tant les cafés, restaurants et pubs de la ville ont en quelques années accompagné l’invasion des écrans.
En quelques années, ils ont colonisé notre quotidien et envahi les espaces publics, s’imposant dans les bars, supermarchés, gares, aéroports, entreprises et administrations. Ils ont vampirisé nos yeux, les enchaînant à eux. Les écrans géants des nouvelles télévisions high tech, écrans des ordinateurs, des tablettes, consoles de jeux ou des lecteurs de DVD squattant les trams ou les trains, écrans de nos smartphones, malins et sensibles ; enfin, écrans des GPS, des bornes tactiles et des guichets interactifs qui jalonnent nos parcours quotidiens. En une décennie à peine, les écrans ont proliféré dans la sphère domestique et dans les espaces publics, y remplaçant de plus en plus souvent ces humains qui avant, vendaient des billets de trains, donnaient des informations, tenaient des guichets de ci de là. Il en reste, bien sûr, mais leur nombre décroît, à mesure que les écrans étendent leur empire, exigeant que nous sachions les utiliser au doigt et à l’œil.
Ceci est particulièrement sensible dans les bars et les brasseries, où pendus à la place des tableaux et des miroirs d’antan, ils déversent leur petite musique de fond, scintillante et hypnotique. Faites le tour des bars et restaurants dijonnais du centre-ville. Il y a peu (et de moins en mois) d’établissements où ces écrans n’aient pris leurs aises. Il n’y a que les établissements à prétention gastronomique qui résistent encore tant bien que mal. Or, il y a encore 5 ans, la plupart des cafés et restaurants équipés ne l’étaient pas.
Et que diffusent ces écrans qui parasitent notre quotidien, interfèrent dans nos conversations, exigeant une attention constante et des commentaires permanents ? Invariablement, des infos en continu, des clips et de la pub. Tous ces écrans, commerciaux pour la plupart, semblent avoir noué une conspiration contre le silence et la méditation. Ils ont favorisé l’essor des chaînes musicales ou de ces robinets à infos qui consacrent ici l’avènement de ce que les Américains appellent l’info-tainement, « l’information spectacle ». Il est probable que l’imminence de la Coupe du Monde, qui arrive l’été prochain, accélérera encore ce mouvement général « d’écranisation ». Plusieurs cafés-restaurants dijonnais (autour de la gare mais pas seulement) proposent d’ailleurs des « soirées foot », prisés par les amateurs.
En fait, les écrans ont étendu à l’infini le domaine du divertissement. Tout devient loisir et jeu, passé à leur subtile moulinette. Mieux (ou pire), après la « télé-réalité », voici venir l’ère de la « réalité télé » : les choses ne semblent exister que si elles ont été filmées. Et surtout, il faut qu’elles puissent être diffusées grâce à ces écrans tactiles qui tels la lampe magique d’Aladin, fait apparaître des réalités extraordinaires quand on la frotte. Il n’y a pas de déploration dans ces constats. Nous sommes toujours les enfants de notre époque, et celle-ci est faite de médias et de techniques, avant tout. L’écran total est un signe des temps, tout simplement. En attendant, aux Grands Ducs, au café Gourmand, à l’Edito, au Liberté bar ou ailleurs, garçon, un café l’addiction !