Ô capitaine ! Mon capitaine ! Mais que de reliures, que d’ouvrages dans votre boutique !
Ce sont, en effet, plusieurs siècles d’histoire, pas moins, qui vous contemplent, là, au cœur de Dijon, dans la librairie Le Meur de la place du Théâtre.
A sa tête, un passionné, Christian Le Meur, troisième du nom dans cette fantastique aventure littéraire. Un véritable Indiana Jones du livre qui n’a pas son pareil pour dénicher d’improbables merveilles.
Tout avait pourtant mal commencé pour notre libraire.
Dès l’enfance, un jour, disons pas comme un autre, le petit Christian Le Meur s’emploie avec ferveur à mettre en charpie un authentique album de Tintin en noir et blanc. Rien qu’à évoquer l’affaire près de six décennies plus tard, il en aurait presque la moustache toute hérissée. Il faut dire que par la suite, bien que tombé dans la marmite dès sa naissance – son grand-père avait lui-même racheté cette librairie en 1936 avant que son père n’en reprenne le flambeau – il refuse de suivre cette voie. « Parce que j’avais juste le goût du livre, sans plus » se justifie-t-il. Il n’hésite pas à quitter la capitale des Ducs pour partir étudier à Paris. Il décroche sa licence de gestion et profite goulûment de la vie, avant que le service militaire ne le tire par les bretelles.
Devenu un homme, cruel dilemme, il doit « choisir un métier et non pas trouver du travail comme aujourd’hui ». Et c’est en 1975, que le miracle a lieu. Christian Le Meur entre finalement de son plein gré dans la danse familiale. Grâce à lui, la boutique, dont la renommée n’est déjà plus à faire, poursuit tranquillement sa route. L’impétrant s’initie, apprend tout le jargon, les moindres ficelles du métier, et développe une expertise exponentielle et avérée dans son domaine.
Si bien que la librairie regorge de joyaux, de recoins où s’accumulent des œuvres d’un autre temps, vestiges d’un patrimoine local et national. Le plus étonnant étant la capacité du tenant des lieux à raconter d’un air malicieux maintes anecdotes croustillantes et émouvantes sur l’histoire de ces ‘grimoires’ tantôt manuscrits, tantôt imprimés.
Ainsi explique-t-il comment certains ouvrages étaient parfois recouverts de cuir de peau humaine. « Jusqu’au 19e, médecins et chirurgiens avaient pour habitude de faire relier leur livre avec la peau de cadavres, on y trouve souvent le nom des indigents qui ont servi à fabriquer la reliure. C’est peut-être choquant aujourd’hui, cela ne l’était pas à l’époque. » Et combien ça coûte ? « La peau des fesses ! » répond-t-il avec espièglerie.
Un beau jour, il aura la chance d’être désigné dans le testament d’un archéologue collectionneur. « Il y proposait à 7 librairies, 6 parisiennes et la mienne, de racheter sa collection. J’ai tout récupéré, y compris les ossements. » En effet, au fond de la boutique, non loin du petit atelier qui lui permet de restaurer ses trésors, quelques crânes vous saluent au passage, coincés dans les hauteurs des étagères. « Un petit clin d’œil aux ‘vanités’ des écrivains : ces crânes leur rappelaient l’aspect transitoire de la vie humaine. »
Et puis il y a les escrocs qui ne manquent pas dans le milieu. Christian Le Meur veille au grain. Même ce prêtre défroqué qui s’était présenté à lui après avoir revendu nombres de livres pillés dans son diocèse d’Autun, pourrait en témoigner…
En bref, le personnage vaut le détour. Les Dijonnais hésitent, écrasent leur nez sur la vitrine mais n’entrent pas. Ils ont tort, car s’ils peuvent parfois s’envoler pour certains ouvrages multiséculaires en exemplaire unique, les tarifs de vente commencent à cinq euros et les récits du maître des lieux eux, n’ont pas de prix.
Florence PARRINELLO