L’enfant de la balle rebondit à Dijon

 

L’irrésistible attirance pour le cirque. Les yeux d’Oleksandr Pohrebnyak brillent quand il évoque cette obsession qui le tient depuis qu’il a 14 ans. Précisément datée, jamais décryptée. Comment s’est-elle immiscée là, derrière ce visage rond comme la lune et ces yeux ciel de traîne ? Encouragée peut-être par le silence des soirées sans histoires entre une mère couturière, passionnée de chant, et un père technicien dans une usine. Instillée sans doute par cette culture qui coule dans toutes les veines des Ukrainiens. Il ne veut pas savoir, retient seulement que cette passion sans limite lui a permis de quitter un pays qui se tournera tôt ou tard vers l’Europe pour y trouver d’autres modèles.

Oleksandr, que ses proches appellent Sasha, aime rappeler ses origines et raconter sans nostalgie sa jeunesse où les journées à Kiev s’étiraient comme le gruyère dans une assiette de pâtes. C’était les années 80. Sasha rêve d’un monde qui n’existe pas, meilleur et plus beau, où l’on parlerait une langue universelle, réveillerait des cultures oubliées, pratiquerait un art total, dans la secrète composition duquel entreraient la musique, la danse, la pantomime, le cirque, la poésie, le conte, le théâtre…

Le petit Pohrebnyak décide ses parents de l’inscrire dans une école de cirque qui dispense ses activités dans le sous-sol d’un immeuble de la banlieue de Kiev. C’est le grand tournant de sa vie. Sur cette époque, Sasha est intarissable et vous entraîne dans son univers comme un enfant malicieux sur son île au trésor : « J’ai gravi les échelons comme on monte la corde qui vous conduit au trapèze. Par étapes. J’ai commencé par une petite école qui m’a ouvert les portes de la Grande école du cirque de Kiev puis de l’Académie nationale du cirque et de l’Art. J’ai appris toutes les disciplines et je me suis imposé comme équilibriste-jongleur sur un monocycle ». Son talent surprend ses professeurs qui l’envoient à Moscou, Tachkent, Tbilissi… roder ses numéros.

Oleksandr Pohrebnyak égrène à toute vitesse les étapes de son ascension, comme s’il voulait sauter toutes les cases de la marelle pour arriver au plus vite au paradis. Mais le paradis professionnel, ce n’est pas l’Ukraine. En 1995, il effectue un stage à Bruxelles. C’est le début du périple. Il se fait applaudir en Russie, en Géorgie, en Arménie, en Allemagne. C’est à cette époque qu’il envoie une vidéo à Christophe Gonnet, directeur du parc d’attractions Le Cap vert, à Quetigny. Ce sera son premier contrat en France. Il y restera six mois. Puis, le tour d’Europe se poursuit en Espagne, en Suisse, en Bulgarie…

C’est à la fin de l’année 2003 qu’il décide de freiner sa propension naturelle à parcourir le monde. Il repose ses valises, cette fois définitivement, à Dijon. Rapidement, Christophe Gonnet en fera son directeur artistique. C’est à lui qu’il confie le délicat recrutement des artistes qui composent la troupe réputée du Cap Vert. « Je ne suis pas un garçon compliqué », prévient Sasha. Pas compliqué, mais déterminé. Un pro qui aime le travail bien fait. C’est aussi lui qui démarche les clients potentiels : casinos, croisiéristes, collectivités… C’est encore lui qui accompagne la douzaine d’artistes qui se produisent en Chine, pendant les Jeux olympiques de Pékin.

Le Cap Vert, à Quetigny, ayant été contraint de fermer ses portes, Sasha travaille désormais dans deux établissements, propriétés de Christophe Gonnet : le Domaine du Lac, à l’extrémité du lac Kir, à Dijon, et au casino des Sources, en Alsace. A 36 ans, praticien de l’indémodable «si tu veux, tu peux», Oleksandr Pohrebnyak collectionne avec une gourmandise boulimique projets et défis. Il passera tout le mois d’octobre à Kiev, à l’Université de Théâtre, pour suivre une formation de metteur en scène pour le cirque qui lui délivrera, dans quatre ans, un diplôme d’Etat. En alternance avec Dijon qui est la ville qu’il a choisie pour s’épanouir.

Pierre SOLAINJEU

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