Au cinéma : Le Redoutable

Le Redoutable, hommage pop et acidulé de Michel Hazanavicius avec le godardien Louis Garrel, l’incandescente Stacy Martin, la lumineuse Bérénice Bejo et le débonnaire (mais pas trop) Grégory Gadebois.

Paris 1967. Jean-Luc Godard, le cinéaste le plus en vue de sa génération, tourne La Chinoise avec la femme qu’il aime, Anne Wiazemsky, de vingt ans sa cadette. Ils sont heureux, amoureux, séduisants et se marient. Mais la réception du film à sa sortie enclenche chez Jean-Luc une remise en question profonde. Mai 68 va amplifier le processus, et la crise que traverse Godard va le transformer profondément passant de cinéaste star en artiste maoïste hors système, aussi incompris qu’incompréhensible.

La très bonne surprise de cette rentrée est sans aucun doute la projection de la dernière comédie de Michel Hazanavicius (Oss 117, The Artist) au cinéma Eldorado, lieu insatiable de la cinéphilie dijonnaise : preuve que cinéma populaire et exigence cinématographique peuvent faire bon ménage dans les salles ! Il faut dire que Le Redoutable est l’adaptation libre du récit autobiographique Un an après d’Anne Wiazemsky, actrice et épouse de l’iconique et indépassable Jean-Luc Godard, dieu vivant du cinéma et de tous ses amoureux.

Tous les deux, Wiazemsky et Godard, sont formidablement interprétés par la jeune Stacy Martin, comédienne franco-britannique découverte chez Lars von Trier (Nymphomaniac) et le toujours très étonnant Louis Garrel, acteur emblématique du cinéma d’auteur français. C’est la troisième fois que le petit Garrel est le héros d’une évocation de Mai 68. Il joua d’abord dans the Dreamers (2003), où l’on aperçoit Godard dans les manifs : récit d’une initiation sexuelle signé Bernardo Bertolucci – le personnage du cinéaste italien est d’ailleurs présent dans Le Redoutable. Louis campera ensuite, devant la caméra de son propre père, un insurgé amoureux dans Les Amants Réguliers (2005).

Plus régulier dans son cassage de lunettes que dans ses amours, il était respecté dans le monde entier. La nouvelle vague c’était lui : Jean-Luc Godard. Le célèbre helvète underground au regard farouche allait-il supporter son incarnation en personnage burlesque et binoclard, finalement aussi allenien (tendance Woody) qu’hazanaviciussien ? Oui, parfaitement. Les mots d’auteur du réalisateur d’OSS 117 ne sont pas sans rappeler l’humour décapant et les réparties du cinéaste du Mépris. Tous font mouche dans la bouche de Garrel, face à la stature callipyge de l’audacieuse Stacy Martin, évoquant selon les scènes Bardot, Anna Karina ou Wiazemsky elle-même.

Ce couple de cinéma inédit est pour beaucoup dans la réussite de ce film aux zozotements et tics godardiens, par sa beauté, sa drôlerie et sa mélancolie lancinante. Les répliques vives bourrées aux calembours fusent dans des décors sixties, rappelant ceux de Pierrot Le Fou, chef-d’œuvre absolu de Godard après son révolutionnaire A Bout de Souffle et son divin Mépris.

« Faut que vous fassiez des films avec Belmondo, il est bon lui, il est marrant en plus » conseille un manifestant au célèbre cinéaste sur le point de se révolutionner lui-même. Mais pour notre Godard « maophile », il s’agit alors d’inventer alors un vrai cinéma politique, tandis que certains sorbonnards le voient davantage comme « un petit amuseur ridicule prenant une pose de révolutionnaire ».

Hazanavicius cite Godard dans ses trouvailles graphiques : voix off, slogans écrits, pellicule en négatif ou nudité gratuite. Le spectateur a même droit à ce moment où Garrel/Godard (regard caméra) affirme qu’ « un acteur est tellement con qu’il serait possible littéralement de le lui faire dire devant l’objectif ». En même temps que des collages visuels et des citations cocasses, Hazanavicius propose un acoquinement de musiques d’époque, dont le « Mao Mao » de Claude Channes, thème du film La Chinoise, ou le chantant « Azzuro » du très en voix et bel italien Adriano Cellentano. Un vrai régal pop and coco !

Anne Wiazemsky a écrit ses souvenirs de jeunesse révolutionnaire avec délicatesse, sensualité et émerveillement. En braquant son regard sur ces années Godard, Michel Hazanavicius a rendu un hommage léger, drôle et irrévérencieux au pape de la nouvelle vague et à une de ses muses. Bravo !

Raphaël Moretto