Victoria, comédie burlesque à découvrir

Pour son deuxième long-métrage, la jeune cinéaste Justine Triet a l’excellente idée de dynamiter le genre de la comédie romantique, le croisant de façon originale et inventive avec le film de procès. Elle ajoute aussi une grosse pincée de « bordel » pas toujours des plus joyeux dans son cadre, filmant des personnages asthéniques et nébuleux, servis par des comédiens en état de grâce absolu, avec un sens de l’image, du casting, du rythme et du comique exemplaire : un sans faute pour la réalisatrice de La Bataille de Solferino, premier film flippé déjà salué unanimement par la critique, proche d’After Hours de Scorsese, sur une journée tournant au cauchemar.
Victoria est également proche du mauvais rêve : l’histoire d’une avocate pénaliste en plein néant sentimental, qui débarque à un mariage où elle y retrouve son ami Vincent (Melvil Poupaud) et Sam (Vincent Lacoste), un ex-dealer qu’elle a sorti d’affaire. Le lendemain, Vincent est accusé de tentative de meurtre par sa compagne, avec laquelle il a chanté Susanna en mode Carlos déboutonné durant la fête. Seul témoin de la scène de crime, le chien de la victime, un dalmatien. Victoria accepte à contrecœur de défendre Vincent tandis qu’elle embauche Sam comme jeune homme au pair : débute ainsi une série de cataclysmes.
Quel que soit votre âge, quel que soit votre sexe, vous allez fatalement tomber amoureux de Victoria, (anti) héroïne renversante interprétée passionnément par Virginie Efira. Difficile de résister à la « hit girl » franco-belge du moment, beauté à peine quadra que tout le monde s’arrache. En témoigne le nombre de couv’, émissions de radio et télévision que l’ex présentatrice de la Nouvelle Star accumule … Depuis 20 ans d’écart, l’actrice élue femme de l’année 2013 par le magazine GQ, alterne comédies populaires et films d’auteurs avec un bonheur constant, enchaînant les projets avec les plus grands. Le cinéaste néerlandais Paul Verhoeven ne s’y trompe pas lorsqu’il lui propose le rôle de Rebecca dans Elle, aux côtés d’Isabelle Huppert et Laurent Laffite, une partition aux antipodes de son image de bimbo blonde. Virginie Efira n’est pas seulement belle : « elle est intense, intelligente, hilarante ». Comme Victoria ?
Oui, car si tout est un désastre dans la vie de Victoria – ses deux filles à peine vêtues livrées à elles-mêmes ou à un ancien dealer dans un singulier capharnaüm, son ex-mari impudique adepte de l’autofiction 2.0, sa vie sexuelle en cocasse déconfiture, son ami complètement barré qu’elle défend… – en revanche, tout est réussi dans le film de Justine Triet : le rythme trépident avec montages parallèles et moments de respiration (ou de dépression), l’image soignée et le regard aiguisé du chef opérateur, le portrait de la femme d’aujourd’hui glamour ou en déroute, l’art innovant de raconter une histoire rocambolesque et ébouriffante, le choix des musiques dansantes ou mélancoliques. Même la scène d’amour est inattendue et bien troussée, sachant que Victoria est loin de « cet état régressif et auto-érotisant de sa jeunesse où elle était un peu obsédée sexuelle et couchait avec tout son entourage » confiera-t-elle lors d’une de ses entrevues avec son psy, sa voyante, son acupuncteur, ses clients, ses amants ou ses amis … On ne sait plus trop, tous ses rendez-vous se superposant, motif qui participe aux nombreux ressorts comiques du film.
Shootée au Xanax, buvant du whisky, fumant clope sur clope, manquant de s’évanouir en pleine plaidoirie, Victoria irradie néanmoins encore et toujours ! Comédie romantico-dépressive sur la vie chaotique d’une femme contemporaine, le film est le portrait d’un être complexe pris dans un flux d’émotions que sa situation professionnelle fait imploser. Justine Triet nous raconte ces choses trash et sombres avec humour et glamour : Virginie Efira oblige ! Deux étoiles sont nées.
Raphael MORETTO

Reprise d’un film cul(te)
Après le succès cette année de Elle d’après Philippe Djian, c’est la ressortie en salles et en vidéo restaurée de Showgirls (1995) de Paul Verhoeven : sans famille, sans amis et sans argent, Nomi Malone (Elisabeth Berkley au sommet de sa plastique) débarque à Las Vegas pour réaliser son rêve : devenir danseuse. Après le succès public et critique de Basic instinct, Verhoeven se fait massacrer par la presse. Showgirls est traité comme le plus mauvais film jamais montré, il est de plus un échec commercial cinglant. C’est le grand cinéaste Jacques Rivette qui réhabilitera le film dans Les cahiers du cinéma en 1998 : « Showgirls est un des plus grands films américains de ces dernières années. L’actrice est stupéfiante ! Et comme tout Verhoeven, c’est très déplaisant : il s’agit de survivre dans un monde peuplé d’ordures. » En 2014, le film Eden de Mia-Hansen-Love sur la french touch lui rendra hommage, tandis que Quentin Tarantino déclarera cette même année « adorer ce film jugé sauvage, fou et fun ». Une œuvre sulfureuse à redécouvrir au cinéma … ou à la maison.