To replay or not replay mai 68 ?

Mars-Avril 2016 ressemble-t-il au théâtre politique de Mai 68 si prolixe en idéologies, si ébouriffant en transgressions, si riche en acteurs tels que Alain Geismar, Cohn-Bendit, Jacques Sauvageot ou encore Alain Krivine, tout récemment invité à Dijon ?

Mai 68, est-ce un mythe ? Un fantôme ? Un revenant qui nous rendrait visite? Il y a une décennie déjà, Marianne Mugnier avait réalisé dans le cadre d’un master de l’Université de Bourgogne une étude sur Dijon et « son » mai 68. Elle y livrait une étude comparative entre le mouvement national et les rythmes de la mobilisation étudiante dijonnaise avec ses singularités locales – notamment la forte contre-offensive des étudiants de la corpo de la faculté de droit.

Les facs dijonnaises comptaient alors moins de huit mille étudiants contre vingt-neuf mille aujourd’hui : ces derniers, même avec un diplôme en poche, auront bien du mal à décrocher un emploi. Et en cas d’embauche, ils éprouveront des difficultés à être rémunérés au-dessus du Smic… Pas étonnant que la loi El Khomri, ses remaniements à répétitions ainsi que les différentes interprétations auxquelles se livrent les exégètes constituent un terreau propice à l’enracinement du grand malaise ambiant.

Rien à voir donc avec les folles échappées de 68 ! Quand, faute d’avoir inventé le célèbre slogan « Sous les pavés la plage », la jeunesse dijonnaise envahissait avec une joyeuse insouciance la rue de la Liberté, les Nouvelles Galeries ou le Pauvre Diable, et chantait à tue-tête le tube de Jacques Brel : «  les Bourgeois, c’est comme les cochons, plus ça devient vieux, plus ça devient… ». On pouvait se permettre d’être lyrique et iconoclaste dans une France, pas encore taraudée par le chômage de masse.

Depuis, ces mêmes choristes dijonnais ont bien déchanté ! Et le politologue Claude Patriat de constater : « Reste la nostalgie ! Nous étouffions sous la chape d’une société à l’image d’un De Gaulle que nous jugions cacique, en décalage total avec la société ; nous pensions œuvrer à la création d’un monde nouveau. Avec le recul, force est de constater que nous avons été en réalité les fourriers de l’ordre ancien, non les constructeurs d’un ordre nouveau. L’économie libérale a regagné le terrain avec une force inédite, mettant la main sur le politique au plan national et mondial ».

Le Dijon de Mai 68 avait l’oreille collée au transistor, se trouvant en prise directe avec les événements à Paris. Tout reste à écrire sur les héros des stations-radio de RTL ou Europe N°1 : Julien Besançon, Pascal Paoli, Gilles Schneider, Jean-Pierre Farkas etc… Pas un pavé arraché au macadam du quartier latin qui ne trouvât son écho dès la minute suivante dans les amphis exaltés de Montmuzard ! Le rôle fédérateur et accélérateur de l’agit-prop joué par le transistor ainsi que toute l’odyssée des ondes radio appartiennent à la légende. De nos jours, l’addiction aux réseaux sociaux ne fait que fortifier le ferment de l’individualisme post-moderne ou consolider l’atomisation de la société. Voilà qui explique en partie le manque de cohésion entre les syndicats étudiants de l’UNEF et de LA FAGE, ainsi que leur difficulté à former un fleuve avec les autres organisations, comme ce fut le cas en 68 avec la CGT, la CFDT etc…

On dit la France d’aujourd’hui – classe des actifs compris – gagnée par la léthargie. Pas évident, que le mouvement de « Nuit Debout » soit de nature à donner aux énarques du gouvernement et de la haute-administration, aux leaders des partis politiques, bref à tous ces acteurs de notre « démocratie confisquée », l’envie de se frotter les yeux et de se réveiller !

Marie France POIRIER