Lumières d’hiver

L’automne et l’hiver arrivent en Bourgogne, et ça va durer six mois ou presque. Ah, le brouillard, la bruine, les petits matins glissants, les soirées et les nuits glaçantes… Tout va commencer très bientôt, ces jours-ci, avec le passage à l’heure d’hiver ; un rite de passage qui ne dit pas son nom.

 

Il y a longtemps, on entrait dans l’automne à une date instituée par le calendrier : « Tiens, on est le 21 septembre, c’est l’automne ». Il y avait eu la rentrée des écoliers, une semaine auparavant. Et puis les températures et la lumière baissaient doucement, alors que les petites laines étaient sorties des armoires, et qu’au café, on se mettait à préférer la salle à des terrasses de plus en plus désertes. Mais je vous parle là d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, d’un autre siècle, en fait.

 

Car désormais, on rentre plus tôt de congés (RTT et vacances perlées obligent) mais l’été finit plus tard, sur fond de quasi-canicule en septembre. Le réchauffement climatique a indéniablement troublé notre perception des saisons. Et pour distinguer l’été de l’hiver, il faut s’en remettre à la lumière plus qu’aux températures. Alors oublions le calendrier et ses dates instituées. Un vrai rite de passage nous fait entrer dans la longue période qui verra le froid et la nuit prédominer : le changement d’heure. Dans quelques jours, notre perception de Dijon va être bouleversée par le brouillard, les petites rues du centre-ville auront des airs de films expressionnistes allemands, noir et blanc et lumières vaporeuses… Les gargouilles de Notre-Dame deviendront inquiétantes, les pavés de la place de la Lib’ seront glissants et brillants.

 

L’année est ainsi coupée en deux grandes périodes. Ce changement d’heures a scindé notre rapport au temps, et les saisons intermédiaires ont presque disparu dans l’affaire. L’été, ne le sent-on pas pointer son nez quand les jours rallongent début avril, et que les soirées s’étirent comme par miracle ?

 

Instituée en France en 1975, suite au choc pétrolier de 1974, cette mesure avait pour objectif de permettre des économies d’énergie en réduisant les besoins d’éclairage. Presque quarante ans plus tard, la chose peut sembler dérisoire ; selon la saison, chauffages et climatisations tournent à plein. Quant à l’électroménager, aux écrans plats et autres ordinateurs gourmands, ils engloutissent bien plus que ce changement symbolique n’en rapporte sans doute ; sans même évoquer l’omniprésent et permanent éclairage urbain et commercial, qui nous aveugle jour et nuit.

 

Mais la chose est devenue symbolique, disions-nous, et là est justement son attrait. Ces changements d’heures biannuels ont bien sûr leurs détracteurs. Mais l’affaire est en fait un jeu à double gain : cette nuit-là, on gagne une heure de sommeil. C’est un petit cadeau éphémère mais inestimable, alors que le froid vient de s’installer, et que la couette nous aimante. Fin mars, on se plaindra de dormir un peu moins. Mais l’on sait bien que le lendemain, il fera jour tard ; et notre quotidien sera éclairé différemment, alors que la lumière rallonge.

 

En attendant, s’ouvrent devant nous un court automne, et un long hiver. On ne profitera pas vraiment de la lumière du matin, mais l’on endurera ces journées obscures qui voient la pénombre rogner les fins d’après-midi, et ronger les soirées. Mais l’hiver n’est pas l’enfer ! Des petits rites l’agrémenteront aussi, des raclettes à la poudreuse, des papillotes aux marrons et chocolats chauds de 17 heures, et vin à la cannelle à l’apéro. Les Halles en splendeur, musée goûteux couvert, écrin de notre patrimoine gastronomique. Et puis les lumières de Noël, festives et ferventes, éclaireront l’horizon hivernal et dispenseront leur chaleur. Et la famille réunie, cela vaut bien la lueur du bel été.